Lucien Godin par Lucien Godin

Propos recueillis par Ange-Aimée Asselin avec la collaboration de Gilles Naud en mars 2003

publié dans Le Cageux volume 6, numéro 3, automne 2003

Je suis né à Saint-Casimir le 27 avril 1913 dans la maison paternelle que j'habite toujours. Je souhaite bien y finir mes jours. Je suis le deuxième d'une famille de 13 enfants issus du mariage de Jymmy Godin et de Irène Rivard. Ma mère est décédée, des suites de l'accouchement de jumeaux, le 24 avril 1926 à l'âge de 42 ans. Treize enfants devenaient orphelins : Aline, moi, Gilberte et Françoise (jumelles), Jeannette, Laurent, Jean, François, Catherine, Rita, Louis, Normand et Fernand (jumeaux).

C'est l'aînée de la famille, Aline, alors âgée de 17 ans, qui devint mère de douze enfants du jour au lendemain. Imaginons tout le courage dont elle fit preuve pour prendre en charge une telle famille. La vie n'a pas toujours été rose ni pour elle, ni pour mon père. Vous savez qu'en cette période, la grande misère était le lot de la majorité.

Derrière la maison, nous avions une petite étable comme bon nombre de famille; nous y gardions trois cochons, dont un était vendu à l'automne pour acheter du boeuf. Nous gardions aussi une vache pour le lait. C'était surtout Aline qui faisait la traite. En plus de notre vache, je conduisais aux champs, sur la terre de la fabrique les trois vaches du curé ainsi que celle de Joseph Brousseau.

Mon père était peintre, décorateur, tapissier et vitrier. Pour subvenir aux besoins de la famille, j'ai dû abandonner l'école à l'âge de 14 ans, un an après le décès de ma mère. Je dois admettre tout de suite, afin de ne pas oublier, que cette décision a marqué ma vie et fut très mauvaise. Mais pour être franc, je dois avouer que je n'aimais pas l'école. Un jour, j'ai postulé pour un emploi à la manufacture de chaussures, la "Star Shoe", implantée ici par messieurs Marchand et Alphonse Asselin. Quelques jours plus tard, un employé de la compagnie est venu m'avertir que je commençais à travailler le lendemain matin. Mon père ne le savait pas. Je n'ai pas dormi de la nuit pour être au travail à 7 heures. Ce matin-là, je n'ai pas déjeuné. Mon père s'étant aperçu que quelque chose n'allait pas, m'a convoqué à un dîner causerie. Nous en avons parlé longuement et nous nous sommes entendus; je n'irais plus à l'école et je continuerais à travailler à la manufacture.

J'y ai travaillé durant trois ans à raison de dix heures par jour pour un salaire de cinq cents l'heure. Après quelques années d'activités, cette entreprise déménagea dans la région de Québec et invita ses employés à la suivre. Mon père me convainc de rester avec lui. Même si le travail était la norme, les gens de ma génération s'amusaient ferme.  Pour ma part, la pêche dans les rivières aux alentours, le "softball" et le hockey meublaient mes loisirs.

Nous étions en pleine crise économique; le travail et l'argent se faisaient rares; les jeunes étaient au chômage. Pour passer le temps, on avait formé trois équipes de hockey dont Dorila Martel, Louis Mailhot et Augustin Lacoursière étaient les entraîneurs. Nous allions jouer aussi loin que Rivière-à-Pierre. Nous prenions le train du Canadien National à la gare locale et revenions tard dans la nuit.

joueur de hockeyPour les parties disputées à Batiscan, une voiture tirée par des chevaux et conduite par Jean-Louis ou Paul Dolbec nous conduisait à la gare de Grondines; le chef de gare trouvait que nous n'allions pas assez loin. C'était gratuit. Il était certainement un de mes "fans". Vous devinez sans doute que nous enfilions souvent des vêtements de hockey glacés. Des dirigeants du Club de Batiscan venaient nous accueillir à la gare de Batiscan et, après la partie, nous reconduisaient à la gare. Inutile de vous dire que la bonne humeur n'était pas toujours au rendez-vous.

Notre patinoire était située sur les terrains de la Fonderie Trottier et mon frère François en faisait l'entretien. À cette époque, la radio, les journaux n'étaient pas présents dans tous les foyers. Le patinage après le souper était donc très populaire. Mesdames Hosanna Lacoursière (Joseph), Fernando Dubois, Régina Lépine (Mme Tibi Carignan) et Thérèse Langlois ma future épouse, pour n'en nommer que quelques-unes, étaient très assidues sur la glace.

Durant cette période noire, j'ai appris qu'il y avait du travail chez messieurs Ulric Genest et Hormidas Roch, tous deux du Pied-de-la-Montagne. Je fus engagé pour faire du bois de chauffage et de sciage. Je faisais le trajet aller-retour à pied matin et soir pour un salaire de cinquante cents par jour. Parfois, je couchais chez mon parrain, Dosithée Rivard, du rang Sainte-Anne. J'ai aussi bûché du bois avec monsieur Josaphat Frenette pendant quelques semaines dans la sucrerie de monsieur Ulric Genest. Pas d'électricité, la lampe à l'huile éclairait nos soirées. M. Frenette était sourd; il ne jasait pas tellement et les soirées, à la cabane à sucre, étaient très, très longues.

Lors de la conscription, j'ai été appelé pour l'armée ainsi que Joachim Lépine et Lucien Rousseau. Le train nous a amenés de Saint-Casimir à Valcartier. Joachim et Lucien ont été acceptés. Moi, non et je n'en ai jamais connu la raison. Lucien Rousseau a travaillé deux ans à l'usine de munitions de Valcartier, vingt cents par jour, nourri et logé. Le soldat Lebrun a chanté Je suis un vincenne de Valcartier.

J'ai aidé à faire vivre ma famille les quinze années que j'ai travaillé avec mon père. En 1942, ce dernier étant âgé, il m'a vendu la maison et m'a demandé de continuer à gérer ses affaires. Peu à peu, il s'est retiré. Mon père ne s'est jamais remarié.

J'étais ambitieux. De plus en plus, les contrats entraient. Je détenais l'agence de peinture C.I.L. À cette époque le "prélart Armstrong" était très populaire. Lucien Arcand de Saint-Alban en faisait la pose. J'avais à mon emploi cinq personnes dont trois de mes frères: Louis, François et Fernand ainsi que Lorrain Carpentier et Vincent Sauvageau.

J'ai obtenu le contrat de peinture et de couvre planchers de la commission scolaire de Saint-Casimir pour la rénovation du Collège vers 1950. M. Ernest Lépine était l'entrepreneur général. J'ai aussi obtenu les contrats pour les collèges de Saint-Augustin, Saint-Basile et de Sainte-Anne-de-la-Pérade, etc.

Nous posions aussi du papier peint dans les maisons privées, faisions la peinture à l'intérieur et à l'extérieur. Mon père était très habile et m'avait enseigné la technique d'imitation d'essence de bois que nous appliquions avec le pinceau au bas des murs sous la cimaise. Il fallait connaître le bois. La maison de M. Abraham Laganière (présentement Laurent) est toujours enjolivée par cette technique. À l'église, on a également appliqué cette façon de faire sur l'armoire où l'on range les vêtements sacerdotaux, ainsi que sur le bas des murs de la sacristie. Le chêne, l'épinette, le frêne étaient les essences de bois les plus en demande.

De mon père, j'ai aussi appris la technique de sablage des maisons qui consistait à peinturer l'extérieur d'une maison et à lancer du sable de la rivière Sainte-Anne. Les maisons de messieurs Édouard Laquerre, Gilles et Albert Giroux et bien d'autres ont reçu ce traitement. Ce traitement rugueux en assurait la longévité.

MariageEn 1945, j'ai épousé Thérèse Langlois, fille de Philippe et Bernadette Tessier, née à Saint-Denis (Saskatchewan), mais dont les parents étaient de Saint-Casimir. Ils étaient partis pour cette paroisse vers 1910. Monsieur Langlois possédait une ferme céréalière (blé et avoine). Thérèse est venue rejoindre ses parents à l'âge de 21 ans. Ce Philippe Langlois, de retour à Saint-Casimir, faisait le commerce de chevaux en plus de cultiver sa terre. L'importation de chevaux de l'Ouest a valu aux enfants Langlois le sobriquet de "Bronco". Une fois arrivés ici, les chevaux de l'Ouest attrapaient le "souffre" d'où le nom de "Bronco".

J'ai levé la maison en 1950 pour y faire un sous-sol habitable qui est devenu l'entrepôt de tapisserie, de peinture, vitre, etc. J'ai refait l'intérieur de la maison qui était divisée en deux logements. Nous l'avons habitée entièrement. Huit ans plus tard, ayant des projets en tête, j'ai agrandi notre immeuble de 75 pieds sur 35 pieds sur deux étages. À la même époque, j'ai obtenu un contrat du gouvernement pour la construction d'un mur de soutènement en béton sur les rives de la rivière Niagarette.

Au fil des ans, la famille s'est agrandie et nous voilà avec sept enfants: Murielle, Monique, André, Denis, Clément, Jérôme et Cécile. Six petits enfants sont nés: Annick, Sébastien, Caroline, Barbara, Hubert et Paméla, lesquels font aujourd'hui notre bonheur. En 1972 j'ai appuyé un de mes fils dans l'achat d'un garage de mécanique et station essence. Deux de mes fils y travaillent depuis ce temps.

La politique municipale a fait partie de ma vie durant 27 ans, dont 11 ans comme maire et 4 ans comme Préfet du Comté de Portneuf. L'amélioration du système d'éclairage des rues, l'achat d'un camion-citerne, le ramassage des ordures ménagères sont quelques-unes de mes réalisations à la mairie.

Pendant plus de 25 ans, je me suis impliqué dans le bénévolat: membre des conseils d'administration du CLSC, des Chevaliers de Colomb, du Centre d'Hébergement de Saint-Casimir durant quinze (15) ans dont huit (8) à titre de président, marguillier, comité de citoyens.

Je voudrais maintenant vous faire part de quelques faits vécus. Durant mon mandat à la mairie, un de ces matins, une mère en pleurs se présente à la quincaillerie, son bébé était mort dans la nuit. Pas d'argent pour l'enterrer. Je lui fais un prêt de $300. Pendant des années, par tranches de $5. ou $10., elle a honoré son emprunt.

C'était aussi l'époque des quêteux. Par une belle journée, Philozor Grandbois vient me dire qu'un quêteux est mort dans un camp du Pérou (Pied-de-la-Montagne). Aucune identification. La municipalité a fait en sorte qu'il soit enterré dignement. J'ai obtenu une belle collaboration du salon funéraire Lacoursière et du clergé de l'époque. Je portais la croix et les six conseillers le cercueil. Il y eut deux autres cas semblables, mêmes procédures. Durant toutes ces années à la mairie, j'ai assisté à toutes les funérailles célébrées ici à l'exception de trois. Il y avait aussi le cas des mères de famille qui venaient se plaindre que leur maris prenaient "un p'tit coup" trop souvent. L'une d'elles est arrivée chez moi avec un oeil au beurre noir. À cette époque, le maire était aussi le confident des malheurs de ses concitoyens.

J'en ai fait des démarches auprès des gouvernements, des industriels pour implanter de nouvelles industries dans la paroisse, pour faire prospérer mon village, notre village qui m'a toujours tenu à coeur !

Des luttes, j'en ai connues, des défaites et des réussites aussi. Si je devais recommencer ma vie, je ferais la même chose tellement tout cela m'a passionné. Je suis très heureux d'avoir vécu au 20e siècle si riche en découvertes de toutes sortes. Merci à la vie, mais aussi et surtout à mon épouse Thérèse. Nous sommes ensembles depuis 58 belles années (vous lui demanderez). Je puis vous dire que si j'ai pu accomplir tout ce qui précède, c'est principalement grâce à elle. Thérèse m'a toujours appuyé, soutenu par ses conseils appropriés, son encouragement, son dévouement, sa disponibilité à m'écouter et son courage pour assumer les tâches quotidiennes. À l'âge vénérable de 90 ans, dans un état physique et mental quand même acceptable, on est chanceux d'être encore ensemble dans notre belle et vieille maison. Merci à la vie !

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Mon oncle est décédé vendredi soir, 24 février 2006, à 23:30. Il a eu "du nerf" et a combatu jusqu'à la fin. Il est mort, simplement de "vieillesse", d'usure. Après avoir récupéré d'une hospitalisation de "reboostage" depuis le 23 janvier, il avait réussi à défier la médecine et les médecins, encore une fois, et retournait chez lui mercredi matin 22 février pour une dernière fois. Mais.... il s'est levé, seul, pendant la nuit pour se rendre aux toilettes et est tombé... = fracture de la hanche.... Le "grand chef "de la tribu Godin a donc, à son tour, fermé "ses livres" et entrepris le "grand voyage". Ses funérailles auront lieu le samedi 4 mars 2006, à St-Casimir. Le 4 mars est le jour dédié au St-Patron de la paroisse, à St-Casimir. Curieux comme les hasards... lui qui a toujours porté haut, fièrement et partout le flambeau de St-Casimir.  C'était un Grand Casimirien !

Il était membre-fondateur du conseil 2940 des Chevaliers de Colomb de St-Casimir et Grand Chevalier 4e degré. Il était membre de l'Assemblée de Monseigneur C A Bilodeau. Il a tenu à assister au souper célébrant le 60e anniversaire du conseil le    14 mai 2005.

Lucien 90e anniversaire

 

Lucien Godin

Lors du souper célébrant le 60e anniversaire

du conseil 2940 des Chevaliers de Colomb de St-Casimir

le 14 mai 2005

Voyer la lettre hommage adressée à la famille par :

Le premier-ministre du Québec Jean Charest

Le député de Portneuf Jean-Pierre Soucy



Michel Godin

Vous êtes le    e visiteur, merci !

créée  le 24 décembre 2003

mise à jour le 13 mars 2006

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